Des élections américaines: le précédent canadien
Eric Deguire
avril 20

Alors que nous poursuivons la lutte contre la COVID-19, plusieurs aux États-Unis et ailleurs dans le monde se demandent déjà – si les rassemblements importants demeurent interdits – quel impact cette crise sanitaire aura sur la tenue des élections présidentielles américaines prévues pour le 3 novembre 2020. 

Plusieurs veulent déjà privilégier le vote par la poste, mais certains républicains dont le président Donald Trump – pour des raisons pas tout à fait claires – semblent s’opposer à ce que cette méthode soit trop étendue. Une bataille juridique et partisane a déjà eu lieu en ce qui concerne les élections primaires dans l’État du Wisconsin qui ont tout de même eu lieu le 7 avril dernier, même si de nombreux électeurs craignaient pour leur sécurité.

Les Américains se trouvent dans une situation des plus complexes, tiraillés entre la santé publique et l’exercice démocratique. L’histoire peut offrir quelques leçons. 

Robert Borden et la Première Guerre mondiale
L
e Canada n’est pas régi par une loi aussi stricte sur les élections à dates fixes comme c’est le cas aux États-Unis. C’est en raison de cela et aussi à cause des nombreux gouvernements minoritaires de l’histoire que les intervalles entre élections ont toujours varié entre un an et cinq ans. Par contre, la loi constitutionnelle stipule qu’un parlement ne peut pas durer plus de cinq ans. 

En 1916, alors que le Canada traverse le défi majeur qu’est la Première Guerre mondiale, il n’y a pas eu d’élections depuis 1911. En raison des circonstances exceptionnelles, le gouvernement de Robert Borden réussit à obtenir un prolongement et reporte l’élection fédérale jusqu’en 1917, faisant que plus de six ans se sont écoulés entre les deux scrutins. Le gouvernement de coalition de Borden remporte haut la main les élections de 1917 avec 57% du vote populaire, malgré une opposition significative du Québec dans le cadre d’une lutte électorale qui a porté essentiellement sur l’imposition de la conscription militaire. 

Une période de six ans entre deux élections générales représente une exception dans l’histoire canadienne, mais la tenue d’élections à dates variables représente, par contre, la norme. Au Canada comme au Québec, de nombreuses circonstances – même ordinaires ou électoralistes – ont toujours amené les gouvernements à devancer ou reporter les élections. Ce genre de choix fait partie de notre culture politique. 

La loi américaine ne permet pas du tout ce genre de flexibilité. L’élection présidentielle doit toujours avoir lieu à tous les quatre ans, « le premier mardi après le 1er novembre. » D’abord instauré pour des raisons pratiques liées à la fin de la récolte, à l’arrivée imminente de l’hiver et au déplacement vers les bureaux de scrutin bien avant l’invention de l’automobile et même des trains, cette date électorale américaine est maintenant ancrée dans la culture. Le fait de la modifier n’aurait pas seulement des impacts politiques, mais aussi psychologiques. Ce rendez-vous électoral représente une stabilité qui n’a pas été ébranlée même pendant la guerre civile et les deux conflits mondiaux. 

L’exception Roosevelt
Des situations exceptionnelles ont par contre déjà amené les Américains à adapter leur culture politique. En 1940 et en 1944, Franklin Roosevelt se représente aux élections et remporte un troisième et un quatrième mandats. Le 22e amendement de la constitution américaine n’étant toujours pas adoptée, il n’existe aucune limite sur les mandats présidentiels. La norme des deux mandats avait été établie par George Washington et ses successeurs avaient choisi de ne pas la défier, mais les circonstances de la relance économique et de la Deuxième Guerre mondiale ont poussé Roosevelt à choisir autrement et personne ne lui reproche cette décision aujourd’hui. 

Malgré qu’ils aient eu des opposants importants, Robert Borden et Franklin Roosevelt récoltaient des appuis nettement plus significatifs que Donald Trump alors qu’ils ont modifié certaines normes démocratiques en contexte de crise. Malgré une fervente base électorale qui représente environ 40% des électeurs, Donald Trump demeure un des présidents les plus critiqués de l’histoire américaine. Alors que plusieurs chef d’État réussissent présentement à se donner des pouvoirs d’exception, toute tentative de Donald Trump de repousser l’élection présidentielle sera assurément rejetée par une majorité d’Américains. Un autre président ayant fait preuve de leadership moral et politique dans le cadre de la crise de la COVID-19 réussirait peut-être à convaincre les Américains de l’importance d’un report électoral, mais avec Donald Trump en poste, cela demeure très improbable. Sans mentionner que cette décision exceptionnelle doit obtenir l’aval du Congrès, dont la Chambre des représentants est à majorité démocrate.

Pour des raisons de santé publique, nous ne pouvons que souhaiter une sortie de crise des plus rapides. Mais aux États-Unis, cette crise représentera aussi un des tests les plus importants de leur système électoral.

[photo de Trump: Gage Skidmore]

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Le premier essai d’Eric Deguire, Communication et violence : Des récits personnels à l’hégémonie américaine, vient tout juste d’être publié chez LLÉ.



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