Briser le miroir: une violence honteuse, par Émile Martel
mai 12

Je suis outré d'apprendre que le gouvernement canadien a décidé d'abandonner le programme d'études canadiennes à l'étranger. 

 Pendant toutes mes années au service des relations culturelles internationales, il a toujours été convenu par tous les partenaires que le programme de loin, de très loin le plus économique de la panoplie de nos modestes instruments de promotion de notre image à l'étranger était le programme d'appui aux études canadiennes parce qu'il s'agit de planter, à un coût minuscule, dans des universités étrangères des chaires d'études canadiennes ou d'accompagner des chercheurs et savants, des doctorants et des étudiants ordinaires dans des études sur un aspect ou l'autre de la réalité canadienne. Ce tremplin de diffusion est très efficace et possède un effet multiplicateur inouï.   

Le gouvernement québécois a, en splendide complémentarité, aussi su exploiter cette mine formidable de bonne volonté et de connaissances sur le Québec. 

Il faut être nul, oui, nul, au Ministère des Affaires étrangères pour laisser glisser dans la poubelle cette mince enveloppe, cette petite et savante voix qui a tellement, tellement plus d'écho sur les campus, dans les écoles, dans la bibliothèque et dans le cœur des citoyens du monde que tant d'autres programmes, tant d'autres dépenses.  

Longtemps, j'ai eu le privilège de participer au renouvellement d'une politique de relations culturelles internationales qui répondait à une lecture éclairée de nos intérêts en tant que pays, en tant que culture – j'allais dire en tant que cultures. Parmi ces efforts parfois malhabiles, souvent sous-financés, mais très, très souvent couronnés de succès, il y avait toujours le programme de relations universitaires, le programme d'études canadiennes, qui brillait de sa désarmante constance, de son incroyable ancrage dans la vie universitaire et intellectuelle partout à travers le monde. 

Ces professeurs d'université de tous poils, de toutes spécialités, animés de pulsions surprenantes et d'exotiques curiosités débusquaient et décrivaient chez nous des réalités et des mensonges, des questionnements et des hypothèses qu'ils passaient gratuitement, généreusement à leurs étudiants. 

Et ceux-ci, généreusement encore, portaient le témoin plus loin, trouvaient la réponse ou se trompaient complètement. Tout cela était merveille devant les yeux éblouis de l'attaché culturel d'une ambassade qui constatait qu'on allait bien au-delà des thèmes locomotives de «L'hiver dans le roman québécois des années trent»' ou de «La solitude chez Anne Hébert». 

Je suis bien placé pour dire que le gouvernement canadien a rarement consacré à la projection à l'étranger de notre pensée et de notre art les ressources nécessaires. Mais en arriver à briser silencieusement ce miroir qui parle de nous, choisir de faire taire ceux qui dorénavant murmureront à voix basse qu'ils nous connaissent et qu'ils nous aiment quand même, c'est d'une petitesse et d'une ingratitude qui me blessent, qui nous heurtent tous.

 

émile martel

Ancien ministre (affaires culturelles) à l'Ambassade du Canada à Paris
Membre de l'Académie des lettres du Québec
Président du Centre québécois du P.E.N. international

Montréal, le 6 mai 2012.


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