Parce que c’est sur Netflix : quelques réflexions sur notre culture télévisuelle 1
Eric Deguire
mai 21

Dans la quatrième saison de la télésérie Seinfeld, le personnage semi-fictif qu’est Jerry Seinfeld joue le rôle d’un humoriste new-yorkais qui se fait reconnaître par certaines personnes bien placées du réseau de télévision NBC. Jerry se fait offrir la chance de réaliser un pilote en vue d’une télésérie, tout comme cela a véritablement eu lieu dans notre monde réel.

Jerry accepte que son ami George se joigne à lui en tant que coauteur alors que ce dernier n’a aucune expérience dans les domaines de l’humour ou de l’écriture. Dans le cadre d’une rencontre avec le président de NBC, Jerry et George font leur pitch en vendant l’idée d’une série à propos de rien (a show about nothing). C’est à ce moment que le président de la chaîne rétorque : « Alors, pourquoi suis-je en train de la regarder? »

George offre à ce moment-là un commentaire social qui en dit long sur nos choix culturels, nous amenant ainsi à nous demander si ce sont vraiment des choix : « Parce que c’est à la télé! »

Au fond de cette réplique se trouve le constat – probablement beaucoup plus véridique que nous osions le croire – que le médium est plus important que le message. Que les dirigeants des postes de télévision, que les maisons de production cinématographique, que les labels musicaux et que les maisons d’édition dictent ce que nous croyons être nos choix culturels. Notre libre arbitre n’en serait pas pour grand-chose finalement?

Pour la grande part des personnes que je côtoie, avoir un compte Netflix – souvent au coût de 10 dollars par mois, sans oublier que nous pouvons partager les comptes entre plusieurs ménages – est devenu un fait aussi anodin qu’était celui d’avoir un téléviseur ou un téléphone fixe il y a 30 ou 40 ans. C’est ainsi que plusieurs personnes regardent du contenu télévisuel pas parce que ces productions sont bonnes ou mauvaises, mais – pour paraphraser le grand George Costanza – parce qu’elles sont sur Netflix!

Nous pouvons nous rappeler certains produits d’une grande qualité qui ont créé des folies furieuses dans l’univers Netflix dans leurs premières saisons. Je pense notamment à House of Cards ou 13 Reasons Why. Dans le cas de cette seconde série, je me rappelle si clairement qu’absolument tout le monde en parlait au printemps 2017 en raison de son récit entraînant et de son contenu controversé. Savez-vous d’ailleurs que cette série en est à sa quatrième saison? Sans tambour, ni trompette! La deuxième saison avait été d’une telle déception, au point que j’ai lâché après quatre épisodes, une chose qui arrive bien rarement dans mon cas. Le déclin de nombreuses séries Netflix rappelle les fameux vers de T.S. Eliot issus de son poème Les Hommes creux : « C'est ainsi que finit le monde / Pas sur un boom, mais sur un murmure. »

Plus récemment, la pandémie de COVID-19 et le confinement du printemps 2020 a permis les montées fulgurantes – et les disparitions sans grand éclat – de séries telles que Tiger King, Unorthodox ainsi que The Last Dance. Cette dernière série de dix épisodes se concentrait sur la saison 1997-1998 des Bulls de Chicago tout en rappelant le parcours biographique de Michael Jordan et de certains membres de son équipe. Les réactions à cette série que j’ai pu trouver sur mon fil Facebook m’ont donné l’impression qu’elle révolutionnait le genre du documentaire sportif. Étant un habitué des films et séries de ce type – surtout ceux de la série 30 for 30 du réseau ESPN – j’ai vite conclu, après avoir regardé The Last Dance, que les gens qui partageaient leur enthousiasme effréné en étaient sûrement à leur première immersion dans le monde du documentaire sportif ainsi que les récits, l’émotion et les commentaires sociaux qu’on a l’habitude d’y trouver.

Je dois donner à Netflix le crédit de recréer une certaine culture commune en mettant de l’avant des productions qui peuvent ainsi devenir des lieux communs peu importe leur qualité. Mais au final, si Netflix et les autres plateformes de streaming nous donnent plus d’options au niveau de quand et comment nous consommerons nos produits culturels (plus besoin d’annuler un souper un jeudi soir pour regarder notre série préférée au moment de sa diffusion ou bien de l’enregistrer sur VHS), avons-nous réellement plus de choix en ce qui concerne le quoi, le contenu comme tel? Permettez-moi d’en douter…

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Le premier essai d’Eric Deguire, Communication et violence : Des récits personnels à l’hégémonie américaine, a été publié chez LLÉ en 2020.
[PHOTO: Joel Lemay]



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