Les grands projets et les grandes surprises
Eric Deguire
octobre 22

Il est de l’ordre du cliché des plus grossiers d’affirmer que l’époque des grandes réformes est révolue. Au Québec et partout en Occident, il n’est pas du tout rare d’entendre certains nostalgiques se rappeler le dynamisme des années 1960 et ses révolutions : l’instauration d’un État-providence, la démocratisation de l’éducation, les succès féministes, pour en nommer quelques-unes. Cette période a été unique. Elle est donc difficile à reproduire. Sans oublier qu’elle a été grandement favorisée par le contexte de paix et de prospérité de l’après-guerre.

Maintenant terminée et ayant donné un résultat que plusieurs analystes et électeurs auraient pu prévoir dès le déclenchement, la campagne électorale québécoise de 2022 aura permis à la Coalition avenir Québec d’incarner cette nostalgie des grands projets, tout en rappelant qu’ils n’ont presque aucun désir d’en entamer. Si on se rappelle la campagne électorale ou l’ensemble de la carrière politique de François Legault, il finit par toujours avoir la même réponse quant aux grands projets : oui, mais non.

François Legault a été souverainiste pendant plusieurs décennies, une lutte de principes qu’il a menée avec cœur. Aujourd’hui devenu un fédéraliste inassumé, il refuse de dire comment il voterait dans le cadre d’un référendum hypothétique. Et, si le fédéralisme canadien lui semble un cadre qui est devenu intéressant, pourquoi ne pas le réformer en proposant une forme de Lac Meech 2.0? Il se contente plutôt du statu quo.

Lorsqu’on a parlé de l’abolition de la monarchie canadienne, il a dit que ce n’était pas le temps de s’attaquer à cela, sans cacher qu’en principe cette structure royale était un peu désuète. Au sujet de la réforme électorale, François Legault en a déjà été un grand partisan. Maintenant qu’il est confortablement installé à la tête d’un gouvernement majoritaire, avec environ 40% du vote, il a vite oublié ce grand projet. Et enfin, au sujet de l’environnement, François Legault se contente des acquis du Québec en hydroélectricité remontant à plusieurs décennies pour rappeler qu’il ne faut pas avoir trop d’ambitions dans ce dossier.

On peut en vouloir à François Legault, mais à plusieurs égards, je crois que cette confortable indifférence représente la volonté politique de plusieurs Québécois. Faire de la politique à coup de symboles et petites mesures, pour ne pas ébranler la stabilité sociale plus ou moins fonctionnelle que nous connaissons. Être nationaliste sans faire de référendum. Être fédéraliste sans embrasser le Canada. Dire que la monarchie est archaïque, sans chercher à l’abolir. Parler d’une réforme du mode de scrutin uniquement quand on est dans l’opposition. Et, dire qu’on est pro-environnement en se rabattant sur les succès hydroélectriques des Jean Lesage et Robert Bourassa.

 

UNE VÉRITABLE COALITION

François Legault continue à redessiner le visage politique du Québec. Il représente tout de même un virage à droite nettement moins prononcé que ce que nous voyons en Europe et aux États-Unis, et n’oublions pas de suivre la montée de Pierre Poilievre. 

Il peut se réclamer d’avoir forger une véritable coalition. Les racines profondes de la CAQ remontent à l’Action démocratique du Québec, un parti fondé par Mario Dumont en 1994, un libéral nationaliste déçu de son parti. M. Dumont était peut-être une génération en avance sur un sentiment de désenchantement qui touche plusieurs anciens fidèles du PLQ, surtout chez les francophones des régions. D’un autre côté, la CAQ carbure aussi aux anciens péquistes comme François Legault et Bernard Drainville. En quatre ans, ce parti a gagné une guerre sur deux fronts en remportant plusieurs châteaux forts libéraux (à Laval et sur la Rive-Sud de Montréal) et un bon nombre bastions péquistes dans l’est du Québec. 

Si je rappelle une analyse faite par Chantal Hébert lors de la campagne actuelle : si on cherchait à connaître les allégeances des électeurs caquistes aux élections fédérales, on risquerait d’apprendre qu’ils sont, presque équitablement, favorables aux libéraux de Justin Trudeau, au Bloc québécois et au Parti conservateur. C’est dans ce sens que la coalition de François Legault repose sur des bases solides et diversifiées. Toutefois, n’oublions pas que cette coalition qui rassemble des fédéralistes, des souverainistes, des électeurs de droite et des électeurs centristes, des jeunes et plusieurs moins jeunes, est presque absente à Montréal.

 

2026 : LES GRANDES SURPRISES

L’élection de 2022 n’a pas offert de grandes surprises. Les sondages et les projections du début de la campagne sont devenus réalité à la fin. Si 2022 a été l’année de la continuité, on peut déjà être presque certain que 2026 sera l’année des grandes surprises. 

La CAQ pourrait vraisemblablement remporter une troisième majorité, avec ou sans François Legault comme chef. Ce serait la première fois depuis l’Union nationale et Maurice Duplessis qu’un parti remporte trois majorités consécutives au Québec. La possibilité d’une dynastie caquiste qui s’installerait pour plusieurs décennies n’est pas inconcevable. Le PLQ a gouverné le Québec sans interruption de 1897 à 1936. Et, la plupart des autres provinces ont connu des gouvernements dynastiques dans leur histoire.

On a beau parler de la faiblesse des partis d’opposition, d’une opposition qui n’a pas su offrir une solution de rechange. Mais en fin de compte, suffisamment de Québécois étaient satisfaits du gouvernement de la CAQ afin de le réélire peu importe les autres options qui étaient sur la table. Être réélu une fois représente une norme assez commune au Québec, alors que les mandats uniques sont plutôt rares.

Il est aussi possible que le deuxième mandat caquiste crée une fatigue chez le parti. L’économie pourrait connaître de nouvelles difficultés et des scandales peuvent aussi affaiblir le gouvernement. Plusieurs électeurs chercheraient une nouvelle option. Cela pourrait bien être Québec solidaire. N’oublions pas que le Parti québécois est passé de six députés en 1973 à un gouvernement majoritaire en 1976. Gabriel Nadeau-Dubois redore son image auprès de plusieurs électeurs. En 2026, il aura 36 ans. Le père de famille saura peut-être séduire la classe moyenne avec quelques propositions qui réussiraient à décoller.

Sinon, le Parti libéral du Québec pourrait aussi revenir en force, que ce soit avec Dominique Anglade ou un nouveau chef, et ce après l’un des pires scores dans l’histoire du parti. Ce parti trouve ses racines chez les Patriotes et compte parmi ses chefs historiques Honoré Mercier, Louis-Alexandre Taschereau, Jean Lesage et Robert Bourassa. Il demeure aussi l’opposition officielle.

J’ai fait l’erreur de trop rapidement prédire le déclin ultime du Parti libéral du Canada après qu’il s’est trouvé en troisième position en 2011, et ce déjà après avoir connu une des pires soirées électorales de son histoire en 2008. Et pourtant, Justin Trudeau a reconquis la majorité en 2015. Le PLQ doit assurément passer un peu plus de temps au banc des pénalités, mais ce serait naïf de penser que ce parti ne peut pas renaître. 

Si je vous dis aujourd’hui qu’en 2026 le Québec se retrouvera avec une troisième majorité caquiste ou bien nous serons sous une gouverne solidaire ou libérale, sans même mentionner les péquistes (qui ont tout de même connu un bon nombre de deuxièmes positions dans plusieurs circonscriptions), tout cela relève de la grande surprise. Cette grande surprise sera-t-elle accompagnée de grands projets. Je suis loin d’être aussi certain, et ce même si Québec solidaire devait gagner la prochaine élection. À terme, le manque d’ambition qu’on peut apercevoir chez François Legault est répandu dans une bonne part de la population qui voit l’avenir d’un mauvais œil. Et si un parti veut aspirer au pouvoir, il doit tempérer les siennes, sauf s’il réussit à nous faire rêver à nouveau. À ce sujet, nous pouvons rappeler les récents triomphes de politiciens comme Justin Trudeau et Barack Obama, des triomphes qui n’ont jamais produit les résultats espérés.

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Le premier essai d’Eric Deguire, Communication et violence : Des récits personnels à l’hégémonie américaine, a été publié chez LLÉ en 2020.

[Photo: Joel Lemay]



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