Parce que c’est sur Netflix : quelques réflexions sur notre culture télévisuelle 2
Eric Deguire
mai 21

Une plateforme comme Netflix rend le contenu accessible et sa consommation se fait sans entraves (au point que le prochain épisode d’une série commence automatiquement). La pratique du binge-watching peut d’ailleurs nous amener à continuer à regarder une série de piètre qualité, alors que c’est plutôt le marathon de paresse (c’est ironique comme formulation, j’en suis conscient) qui se maintient afin de combler nos journées et chasser l’ennui surtout en temps de pandémie.

Comme c’est le cas avec nos leaders politiques, le public a les émissions de télévision qu’il mérite. Nos valeurs, nos consciences collectives, notre humeur sociale engendrent à plusieurs égards le contenu. La télévision demeure un reflet de la société. C’est un business qui dépend des spectateurs, des revenus publicitaires ou des comptes payants. Ce rapport réussit toujours à en dire très long sur nos valeurs et sur nos priorités en tant que société. La représentation de la condition féminine, des personnes de la communauté LGBTQ+ ou bien celle des minorités visibles a certes progressé dans les dernières décennies. Nous pouvons facilement conclure que cela est signe d’un certain avancement en tant que société. Si nous explorons ces enjeux plus en profondeur, nous remarquons que ces personnages et leurs réalités sont souvent relégués à un statut secondaire ou, encore pire, la condition de ces personnages est encore essentialisée ou bien présentée de manière stéréotypée dans le but de faire rire en exploitant des préjugés.

Si des réalisateurs continuent à exploiter des stéréotypes aux dépens de certaines personnes qui ont historiquement connu de la discrimination, c’est parce que le public est encore prêt à tolérer ce genre de stéréotypes. Dans tous le cas, la responsabilité est assurément partagée. La télévision n’a pas comme mandat d’être un véhicule de changement social, même si elle peut choisir de l’être par moment.

Dans son récent essai intitulé Mister Big ou la glorification des amours toxiques (Québec Amérique, 2021), India Desjardins replonge dans Sex and the City. Cette série aussi mémorable que révolutionnaire a été diffusée sur les ondes de HBO de 1998 à 2004. India Desjardins explore d’un nouvel œil le rapport entre Carrie et Mister Big (le couple emblématique de la série) afin d’y voir une certaine légitimation des amours toxiques. Elle rappelle que ce que nous voyons sur nos écrans peut avoir un grand impact sur ce que nous jugeons comme étant acceptable ou pas dans notre vie quotidienne. Et, c’est bien sûr le cas dans le domaine des relations de couple qui peuvent être fort inégales.

Si je poursuivais de manière un peu plus personnelle au sujet de la mauvaise influence de certains personnages issus de la télévision, je rappellerais Barney Stinson de How I Met Your Mother (CBS, 2005-2014) et Hank Moody, personnage principal de Californication, série diffusée sur les ondes de Showtime de 2007 à 2014. Dans les deux cas, il n’y a aucun doute que ces personnages sont issus d’un monde pré-#MeToo et pourtant l’appréciation publique qu’on leur a accordée par le rire et le désir d’émulation en a fait beaucoup pour démontrer que la société tolérait – et encourageait – leurs comportements.

Une émission de télévision est, au final, une œuvre d’art et un produit de divertissement. Elle n’a aucune obligation de proposer une vertu sociale. Il reste qu’il est important d’au moins être conscient du chemin que ce contenu télévisuel parcourt afin de se trouver sur nos écrans. Les plateformes fort attractives proposent du contenu que nous consommons souvent sans trop se poser de questions. Netflix a, à plusieurs égards, recréé une certaine culture commune qui nous amène à nous lancer dans le visionnement des mêmes émissions en même temps. Des fois, on le fait aveuglément.

Je cherche donc à proposer une prise de conscience qui est double, au niveau du médium et du message. Si on regarde une émission de télévision, l’avons-nous vraiment choisi ou a-t-elle été proposée – pour ne pas dire imposée – par les algorithmes et le contenu privilégié par Netflix? Il en va d’une certaine liberté intellectuelle d’en être au moins conscient. Et, au final, que dit le contenu de ces productions? Proposons-nous un modèle de société, des valeurs qui inspirent?

Les réponses à toutes ces questions ne sont pas particulièrement importantes, mais je pense que cela nous fait beaucoup de bien quand on les soulève.

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Le premier essai d’Eric Deguire, Communication et violence : Des récits personnels à l’hégémonie américaine, a été publié chez LLÉ en 2020.
[PHOTO: Joel Lemay]



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