Parce que c’est sur Netflix : quelques réflexions sur notre culture télévisuelle 2
Dans un deuxième texte de deux, Eric Deguire aborde comment, à l’ère de Netflix, la télévision demeure un reflet de notre société pour le meilleur ou pour le pire.
Avant de comprendre, si une œuvre littéraire peut être comprise par l’intellect, Trois fois la fin du monde (Éditions Noir sur Blanc, Paris, 2018), roman magnifique et difficilement classifiable, de Sophie Divry, le lecteur doit se distancier de toutes les banalités critiques ainsi que des généralisations superficielles des médias littéraires. Après tout, il ne s’agit pas de n’importe quelle fin du monde, une fin du monde simpliste et unidimensionnelle qui mériterait des qualificatifs banals tels que post-apocalyptique, utopique ou dystopique, car ce roman, à la différence des récits-copies, qui nous présentent une réflexion littérale de la réalité, comme si la littérature pouvait se soumettre à une esthétique mécanicienne, crée un monde, une réalité, une vérité sui generis. Selon Roman Ingarden, la vérité d’un roman, n’est pas celle du monde des objets, bien qu’on y puisse déceler, ou imaginer de vagues parallèles avec ce que nous percevons comme réalité :
Lorsqu’il crée, l’auteur n’est d’abord lié que par l’exigence d’écrire une œuvre intelligible et qui forme un ensemble cohérent. ( . . . ) Mais en ce qui concerne la teneur des « objets » figurés dans l’œuvre, elle peut en principe, dans une large mesure, être soumise à l’arbitraire, et en particulier être formée sans souci de savoir si elle ressemble, resp. ne ressemble pas, aux « objets » qui nous sont connus par expérience. [L’Œuvre d’art littéraire, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1983, pp. 255-256.]
Faut-il dire que les objets figurés dans ce roman ne proviennent pas de l’expérience de Sophie Divry dans le monde des objets ? Avant de nous pencher sur l’unicité, l’originalité, la valeur littéraire et (oui, il faut le dire !) existentielle et spirituelle du roman de Sophie Divry, il faut contourner d’autres parallèles littéraires (Robinson Crusoé, Joseph, K., etc.), paralittéraires (les variétés fantasmatiques du discours utopique), ou carrément non littéraires (une réalité documentaire où l’écrivaine aurait pu puiser des arguments pour sa vision du monde) qui obfusquent l’essence de Trois fois fin du monde. Ce qui obfusque ce texte littéraire, c’est le mythe mondain et universitaire de l’intertextualité, un mythe mondain parce qu’il est universitaire, ou vice versa, car, toute la littérature étant un texte, ou Texte, l’écrivain, sans que le théoricien, lui, ne didactise là-dessus, sait bien que les constructions théoriques ne concernent pas le génie littéraire. Autrement dit : si Sophie Divry choisit le nom Joseph K. pour son protagoniste, elle le fait pour des raisons mystérieuses et inexplicables, mais absolument pas, à mon avis, pour établir, ou suggérer, à un lecteur averti ou à moitié averti, quelque parenté voulue ou hypothétique avec Franz Kafka ! N’en déplaise à Kafka, Sophie Divry n’a pas besoin de lui.
Sans vouloir insister sur le fait que l’écrivain soit complètement détaché de la réalité « réelle », la réalité des objets, disons que la source profonde de ce roman est le monde, l’univers intérieur, le microcosme de Sophie Divry (le terme microcosme est plus compréhensif, plus englobant que l’expression imagination littéraire), car pour nous, qui adorons la littérature, ce microcosme est plus réel et plus vivant que la soi-disant réalité objective. Sauvé d’une catastrophe personnelle (la prison) par une autre, plutôt existentielle (une explosion nucléaire), le protagoniste, brutalement jeté, d’une manière heideggériennne dans un monde peu philosophique, fait face, en s’adaptant à la vie dans un monde sans être humains, à une solitude inimaginable—inimaginable, car la solitude ordinaire, étant un phénomène social, n’est jamais absolue, s’inscrivant, hypothétiquement, peut-être, dans le monde des dichotomies qui nous donne de l’espoir : si je suis seul, ce n’est pas mon destin de l’être.
Bien qu’absolue, la solitude que nous décrit Sophie Divry, car les traces du monde révolu, du monde pour lequel le protagoniste éprouve, bien naturellement, une nostalgie ambivalente, sont bien visibles dans leur simplicité terrifiante. Ne se souciant guère de la signification métaphysique de la solitude en tant que problème existentiel et psychologique, la romancière démystifie une situation métaphysique en nous rappelant la vérité que, dans les profondeurs terrifiantes du silence absolu, c’est l’absence présente de l’humanité, une humanité théoriquement détruite, qui est plus puissante, et plus sinistre, que le néant. Sophie Divry sait que l’aspect monstrueux de l’humanité, une bête plutôt qu’un ange, est un problème que nos anthropologies timides, scientifiquement et politiquement correctes n’ont pas encore entamé. Ce qui ne veut pas dire que Sophie Divry est plus anthropologue que romancière :
Mais leur ordre est encore lisible. Leur ordre veut survivre sans eux. Leur ordre résiste. Dans ces panneaux pour faire redouter la morsure d’un chien. Dans leurs Réserve de chasse, Interdiction de pêcher. Attention alarmes, dans leurs systèmes de sécurité. Dans leurs Défense de stationner, leurs portes blindées et toujours, toujours, dans leurs petits panneaux Propriété privée. [Trois fois fin du monde, p. 103]
Du 3 au 5 mai 2019, Sophie Divry participera au Festival littéraire international de Montréal, Metropolis bleu. Annie Heminway animera un atelier d’écriture suivi d’une discussion dimanche 5 mai de 14h à 16h. Pour s’inscrire, consulter la Billetterie en ligne sur le site metropolisbleu.org
© 2018, Zoran Minderovic
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