Éloge de la boutonologie: Piège à mouches, de Frederik Sjöberg
avril 12

Si vous croyez qu’un livre à succès doit être axé sur des drames sanglants, des personnages séduisants et des passions torrides, le livre de Frederik Sjöberg va vous démontrer tout le contraire. Son livre Piège à mouches est la meilleure preuve qu’un bon auteur peut rendre intéressant n’importe quel sujet, même ceux qui, généralement, ne se prêtent jamais à des histoires palpitantes, par exemple l’entomologie. Pour écrire un tel livre, il faut d’abord être un expert en boutonologie. Je me suis offert le luxe de ne pas vérifier si le terme existe dans le dictionnaire, mais Sjöberg nous assure qu’on doit sa paternité à August Strindberg dans son livre de 1884, L’île des bienheureux. Celui-ci décrit les activités fébriles de quelques personnages autour des collections portant sur les choses les plus anodines, par exemple les boutons ; d’où la boutonologie.  

Les boutons de notre narrateur, alter ego de l’auteur lui-même, sont les mouches. Plus précisément les syrphes dont, nous en avons la garantie, la Suède est le bienheureux possesseur de certaines espèces en train de disparition. L’île habitée par notre personnage, envahie en été par une foule de touristes encombrants, s’avère une véritable caverne d’Ali Baba en ce qui concerne la variété d’insectes. Toutefois, quoi peut bien penser un entomologiste, en attendant que son filet soit rempli de quelques rares exemplaires? 

Dans un piège à mouches, on attrape toutes sortes de spécimens, ce qui rend très ardue la tâche d’un collectionneur. À la fin de la journée, il doit sélectionner sa récolte compte tenu du genre, de la taille, du bourdonnement, de la fleur préférée, du mode de reproduction, de l’origine, etc. De son côté, Frederik Sjöberg nous livre un piège à récits bien rempli, car son roman n’est qu’un filet où l’on ramasse, morceau par morceau, tout ce qui nourrit sa passion d’entomologiste. On commence par la banale description du piège malaise, pour arriver à la biographie tourmentée de René Malaise, entomologiste suédois qui finit en tant que collectionneur d’art. Cependant, ce qui nous mène de Kamtchatka à l’Himalaya, n’est qu’un filet dans lequel la biographie de Malaise se mêle à celles d’autres entomologistes. Bel exploit qui vous convainc à la fin d’embrasser la passionnante carrière de boutonologiste.  

Piège à mouche est un livre qu’on lit avec la peur de rater une seule ligne; quant à Frederik Sjöberg, c’est un auteur qui prouve le caractère inépuisable de la lecture. 

Piège à mouches, Les Allusifs, 2011.

© Felicia Mihali, 2012

Journaliste, romancière, et professeure, Felicia Mihali vit présentement à Montréal. Après des études en français, chinois et néerlandais, elle s’est spécialisée en littérature postcoloniale à l’Université de Montréal, où elle a également étudié l’histoire de l’art et la littérature anglaise. Elle a publié sept romans chez XYZ Éditeur, et son premier roman écrit en anglais, The Darling of Kandahar, vient de paraître chez Linda Leith Publishing (2012). 
[Photo : Martine Doyon]


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