Élections canadiennes et barbecue
Eric Deguire
septembre 21

« Il y a quelques mois… quelques semaines… un gouvernement minoritaire – ambitieux malgré la pandémie – a appelé des élections générales. Et presqu’au terme de cette soirée électorale, on est toujours en pandémie avec le même gouvernement minoritaire. On a envie de dire :  "tout ça pour ça?". Pas de gagnant, pas de perdant. Certainement, un jugement sévère des gens qui se diront, demain matin, parce qu’ils auront probablement pas, eux autres, passé la nuit debout : "Mais qu’est-ce que c’était, cette histoire? Pourquoi avoir interrompu mon barbecue?" ».

 Ce furent les parmi les premiers mots prononcés par le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, alors qu’il rencontrait ses militants après le dévoilement des résultats de la dernière élection canadienne ayant eu lieu le 20 septembre 2021. Une élection qui a donné des résultats quasi identiques à la dernière, celle de 2019. Cette allocution commence par une lucidité des plus évidentes. En début de campagne électorale, stratèges libéraux et commentateurs politiques formulaient des souhaits et des analyses quant au fait que dans quelques jours nous ne discuterions plus du « pourquoi » de cette élection. Ce jour n’est jamais arrivé et, même après l’annonce des résultats, les opposants de Justin Trudeau ont continué de lui reprocher ce déclenchement qu’on jugeait toujours comme étant hâtif, pour ne pas dire égoïste.

Ce reproche est légitime. Mais n’oublions jamais un fondement de notre système parlementaire : malgré toute loi sur les supposées élections à date fixe, le premier ministre ne perd jamais son droit de déclencher des élections, et ce, essentiellement, à tout moment. En revanche, dans le cas d’un gouvernement minoritaire, les partis d’opposition peuvent faire tomber le gouvernement et provoquer une élection.

Les Canadiens se réservent toujours le droit de punir un gouvernement qui déclenche des élections pour les mauvaises raisons. La population a fait cela, mais de manière mitigée. Les libéraux n’ont pas obtenu une majorité, mais ils n’ont pas été envoyés sur les bancs de l’opposition. De toute évidence, les Canadiens ne trouvaient pas que l’offre d’un gouvernement conservateur ou néo-démocrate était assez alléchante.

C’est, par contre, un peu plus loin qu’Yves-François Blanchet m’a déçu. Quand il dit que la population préfère ses barbecues estivaux à l’exercice démocratique, il confirme peut-être une réalité des plus claires. Mais, il contribue à un cynisme et à un désengagement citoyen. En tant que chef politique, il devrait toujours chercher à faire le contraire.

Les élections à intervalles variables font partie de notre histoire et de notre culture politique. Nous ne sommes pas comme les Américains avec des rendez-vous électoraux aux quatre ans comme les Jeux olympiques ou la Coupe du monde de la FIFA. Depuis 1867, les écarts entre les élections canadiennes – et toutes celles tenues dans les provinces – ont toujours varié entre un an et – dans le cas d’une rare exception pendant la Première Guerre mondiale – six ans.

Reprocher à Justin Trudeau d’avoir déclenché une élection pour des raisons d’ambition personnelle afin de transformer sa minorité parlementaire en majorité est une critique parfaitement légitime. Dire qu’une élection est inutile – comme l’ont fait certains de ses adversaires – fait preuve d’une irresponsabilité, comme s’ils oubliaient la chance que nous avions de vivre en démocratie. Si je rappelais les paroles d’Yves-François Blanchet, c’est en raison de notre système démocratique relativement robuste et fonctionnel qu’on a le privilège de se rassembler et de faire des barbecues, de se divertir et d’oublier la politique pour quelques instants.

CRISE EXISTENTIELLE OU SIMPLE EXERCISE DÉMOCRATIQUE

Avoir le sentiment qu’une élection est inutile représente l’un des plus grands privilèges politiques que nous pouvons demander en tant qu’individu. Nous ne sommes pas en mesure d’en dire autant de nos voisins Américains lorsqu’ils ont participé aux exercices démocratiques de 2016 et de 2020. 

« Quoi qu’il arrive, le soleil se lèvera demain matin ». Ce furent les paroles du président Barack Obama, le 8 novembre 2016, alors que nous attendions encore les résultats d’une élection chaudement contestée entre Hillary Clinton et Donald Trump.

Le fait que M. Obama ait même senti le besoin de faire ce rappel soutenant que le temps ne cesserait pas après l’élection – aussi désastreux que puissent paraître les résultats pour certaines personnes aux États-Unis et autour du monde – souligne à quel point les Américains et le monde entier ressentaient l’arrivée d’un moment existentiel. L’élection américaine de 2020 pouvait assurément être caractérisée de manière similaire.

Si certains citoyens et politiciens du Canada ont jugé l’élection fédérale de 2021 comme étant futile, les exemples américains de 2016 et de 2020 représentent tout le contraire, mais je ne pense pas que ce soient des situations enviables.

DES ÉLECTIONS À TOUT MOMENT

Au courant de l’histoire canadienne et québécoise, gouvernements et oppositions ont provoqué des élections pour une variété de raisons lors de moments bien différents. Dans certains cas, on a voulu transformer une minorité en majorité. Cela a lamentablement échoué pour Pauline Marois en 2014, alors que Jean Charest a réussi son pari en 2008. Dans d’autres cas, les gouvernements ont maintenu leur statut minoritaire comme Lester B. Pearson en 1965, Stephen Harper en 2008 et Justin Trudeau en 2021. Lors de rares occasions, des gouvernements majoritaires ont mis à risque leur statut afin de recevoir un nouveau mandat de la population après seulement deux ou trois ans au pouvoir. On peut penser à Jean Lesage en 1962, à Robert Bourassa en 1973 ou à Jean Chrétien en 2000.

Au sujet des partis d’opposition qui ont forcé la tenue d’élections hâtives, nous pouvons penser aux paris réussis de Stephen Harper en 2006 et de Pierre Elliott Trudeau, en 1980, alors qu’il déloge le jeune gouvernement minoritaire de Joe Clark afin de retrouver une majorité libérale. Dans d’autre cas, l’élection fédérale de 2011 avait été forcée par l’opposition, mais Stephen Harper en a profité pour obtenir un mandat majoritaire, tout comme Trudeau (père), en 1974, après avoir été battu dans le cadre d’un vote de non-confiance mené par Robert Stanfield et le Parti progressiste-conservateur.

Par ailleurs, je crois très sérieusement que si les partis d’opposition avaient forcé l’élection de 2021, Justin Trudeau serait aujourd’hui à la tête d’un gouvernement majoritaire. Comme quoi le motif a coloré l’ensemble de la campagne et a déterminé son issue.

Le coût financier de l’élection fédérale de 2021 a souvent été mentionné. Certes, la tenue du scrutin a coûté 600 millions dollars (pas grand-chose quand on compare à l’ensemble du budget fédéral). Mais, il me semble que la démocratie, ça n’a pas de prix. Selon cette même logique, on ne devrait pas lire des livres, car cela contribue à gaspiller du papier.

Je me dois de réitérer qu’un exercice démocratique n’est jamais inutile. Il reste qu’on pourra toujours dire que les élections fédérales de 2021 n’auraient pas dû avoir lieu, car Justin Trudeau les a déclenchées afin d’obtenir une majorité et qu’il l’a fait en temps de pandémie. 

Comme quoi cette pandémie a tout changé. Cela m’amène à repenser au barbecue d’Yves-François Blanchet et je sympathise un peu plus avec sa déclaration. Car, qui sait? D’ici quelques semaines ou mois, les barbecues avec amis et famille seront peut-être, à nouveau, interdits.

*

 

Le premier essai d’Eric Deguire, Communication et violence : Des récits personnels à l’hégémonie américaine, a été publié chez LLÉ en 2020.

 



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