Cesaria Evora
mars 12

La Diva aux pieds nus, ondine des ondes, amarre l'Afrique dans le port de New York. Cesaria achève ce mois-ci sa dixième tournée américaine par un concert au Beacon Theatre (30 mars 2006). Lors de son escale à New York, nous avons eu le privilège de rencontrer cette voyageuse inépuisable. Son dernier album, Rogamar (" prier la mer "), célèbre toutes les mers du globe, à commencer par celle de l'archipel natal, le Cap Vert, collier d’îles amarré à la grande terre d’Afrique. Traduction assurée par José Da Silva, manageur de Cesaria Evora. 

Bien accueillie
Depuis 1987, date de ma première venue aux USA, j’ai toujours été bien accueillie. Je suis d’abord venue chanter pour la communauté capverdienne, puis à partir de 1995 les Américains m’ont découverte, m’ont adoptée. Ça m'a fait énormément plaisir de recevoir un Grammy Award en 2003. J’ai à présent un public partout où je vais. En 1995, alors que je me produisais au Bottom Line, club de jazz de Manhattan, Madonna était assise au premier rang. J'ai cependant dû décliner la proposition qu'elle me fit de chanter à son mariage parce que j'avais d'autres obligations par ailleurs.

New York
À New York, tout le monde est pressé. Moi je suis lente, mais j'arrive toujours à temps. Dans la ville, on fait parfois des rencontres inattendues. Pas plus tard qu’hier, j’ai croisé un rasta tenant à la main un énorme bâton peint. J’ai tout d’abord craint qu’il ne l’emploie pour estourbir un passant. Au contraire, doux comme un agneau, il est venu me saluer avec beaucoup d’aménité. Ce que je préfère ici, c'est la nuit, les lumières des buildings, les grands ponts qui me conduisent à Brooklyn, chez mon amie Fantcha, chanteuse capverdienne. Chez elle, on fait semblant d’être au Cap-Vert, on parle et on chante en créole capverdien, on mange capverdien.

Paris
Je me sens bien à Paris, c’est là que tout a commencé pour moi. Barbès est l'un de mes coins préférés de Paris. J’aime me baigner dans sa foule disparate, m’y faire coiffer ou m’y reconstituer une garde-robe. Un jour, un journaliste a appelé de toute urgence mon manager pour le prévenir qu’il venait de me croiser dans ce coin-là. Selon lui, je devais certainement avoir perdu la raison pour m’aventurer dans un endroit pareil.

Boston
Le Massachusetts et le New Jersey accueillent l’essentiel de la diaspora capverdienne. On estime à plus de 500 000 leur nombre. Quand je passe à Boston, on m’invite toujours dans un restaurant qui porte mon nom pour y partager un bon moment avec mes compatriotes.

Je chante du soir au matin
Accompagnée de mes dix musiciens, je parcours le globe en tous sens, bientôt l'Europe, puis l'Asie et enfin ma terre natale. Je ne fais que faire mon métier, avec passion. Qu'on soit à New York, Rome, Singapour ou Dubaï, c'est toujours pareil, je donne le meilleur de moi-même. Si j'avais fait ça pour voir du pays, j'aurais émigré plus tôt.

Dollars pour la Diva
La première fois que je suis venue chanter à New York, mon auditoire constitué essentiellement de Capverdiens, m’a jeté des poignées de dollars sur scène. Maintenant ils ne le font plus, c’est bizarre.

Mama Africa
En Afrique, on m’appelle Mama Africa. J’ai beau leur dire que je ne suis pas leur mère, ils persistent à m’appeler ainsi. J’aime en Afrique les relations qui unissent les gens, plus chaleureuses que nulle part ailleurs. La cuisine y est aussi plus savoureuse.

Inspiração do Brazil
Au Cap-Vert, on aime tout ce qui vient du Brésil: artistes, musiques et bien sûr le carnaval dont nous nous inspirons énormément pour organiser le nôtre. Pour rappeler tout ce que nous devons, nous Capverdiens, à ce merveilleux pays, j’ai intitulé l’une de mes chansons « San Vincente est un petit Brésil ».

Une île pour fumer
Les lois américaines m’obligent à respecter les interdictions de fumer, que ce soit dans ma loge, mon bus, ou mon hôtel. Mais j’ai quand même réussi à préserver un lieu de survie pour la fumeuse invétérée que je suis: la scène. J’ai signé un contrat qui stipule que je pourrai fumer entre deux chansons. Ce luxe se paye car à présent nous devons assurer le salaire d’une équipe de sécurité supplémentaire. Quand sur scène, j’allume ma cigarette, les gens applaudissent.

Nos ancêtres les Portugais
Dans l’éducation que j’ai reçue sous la colonisation portugaise, l’Afrique n’avait pas droit de cité. À l’école, on ne parlait que de nos ancêtres, les Portugais. Tout dans l’architecture de nos villes, les statues de nos places rappelle le Portugal. Quand Ismaël Lo est venu, il y a trois ans pour donner son premier concert chez nous, beaucoup de Capverdiens découvrirent à la fois la musique sénégalaise et une part insoupçonnée de la culture africaine.

En chanteuse et en voyageuse
L’envie de voyager m’est venue après 1985. Mieux vaut tard que jamais ! Entre 1975 et 1985, je ne chantais plus, je faisais la grève. En réalité, j’en avais marre de me produire pour des cacahuètes, je préférais rester tranquillement à la maison. Quand le succès est venu, j’ai pris la route et depuis je ne me lasse pas de ce voyage continu.

La mer de nostalgie
La mer nourrit les hommes, porte les voyageurs, inspire le poète. J’ai une relation forte à la mer, je m’adresse à elle comme à une divinité, j’aime la contempler pour faire le vide en moi. La mer est la maison de ma nostalgie.

L’amour tatoué
Le tatouage que vous voyez sur mon avant-bras est un cœur dans lequel s’inscrit la lettre A. Il honore tous les amours de ma vie et n’exprime aucune nostalgie. Il célèbre plutôt ce que j’ai beaucoup fait ma vie durant.

 

Interview réalisée par Frédéric Antoine Brosson et Annie Heminway, précédemment parue dans la villeestailleurs.net.

 

Frédéric Antoine Brosson est né dans le nord de la France, près de Douai. Après avoir achevé ses études en Italie, il a dirigé des structures culturelles et éducatives à l'étranger (Mexique, Vietnam, USA, Inde). Rentré en France depuis deux ans, il enseigne dans la Région Midi-Pyrénées et se consacre à l’écriture.
[
Photo: Ann Tornkvist]

 



Née en France, Annie Heminway enseigne l’écriture créative, la Littérature-Monde et la traduction en ligne à New York University. Elle est traductrice littéraire, rédactrice à Mémoire d’encrier à Montréal et consultante pour le Festival littéraire international de Montréal Metropolis Bleu et Femmes au-delà des Mers à Paris. Elle est l’auteur d’une quinzaine de livres, les plus récents, French Demystified et la série Practice Makes Perfect (New York: McGraw-Hill 2011). Elle est codirectrice littéraire, avec Ève Pariseau, pour le contenu français du Salon .ll.
[Photo: Khireddine Mourad]

 


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