Le paradis ? Relatif, mon cher Watson ! par Gisèle Kayata Eid
La guerre était un moindre mal et, dans ce pays, elle faisait souvent partie du décor.
Après trois œuvres de jeunesse ? Die Feen, Das Liebesverbot et Rienzi ? le Vaisseau fantôme, qui annonce le début de la période romantique dans l'œuvre de Richard Wagner, est le premier de ses opéras à illustrer les concepts philosophiques qui constitueront les fondations des œuvres subséquentes.
Après avoir puisé son inspiration dans la philosophie naturaliste de Feuerbach, Wagner rencontre dans les thèses de Schopenhauer, l'idée de la négation du monde. À travers Schopenhauer, Wagner côtoie les principes fondamentaux du bouddhisme ? au premier chef la vision d'un monde empreint de souffrance que l’homme peut dominer s’il connaît l'éveil, celui-ci réalisé au moment de son ultime prise de conscience de ce qu’est sa nature, tout en cultivant des vertus comme la droiture morale, la sagesse et, surtout, la compassion.
Cette vision deviendra un leitmotiv philosophique dans les opéras de Wagner – jusqu'au dernier – Parsival – qui marquera un tournant, amorçant un retour à la notion chrétienne de renoncement, laquelle transcende l'action dramatique en la portant à un niveau différent.
La trame dramatique du Vaisseau fantôme, dont le livret est inspiré d’un épisode des Mémoires de Monsieur de Schnabelewopski, de Heinrich Heine, suit le destin d’un marin appelé le Hollandais volant, ce dernier condamné à errer de toute éternité sur les océans. Le seul espoir de rédemption du personnage réside dans l'amour fidèle et éternel que lui vouerait une femme – espoir qui semble vouloir se concrétiser lorsqu'il rencontre Senta. Afin d'échapper à un milieu étriqué et borné, Senta s'est réfugiée dans un monde imaginaire où elle nourrit un amour obsessif, entretenu par la légende du Hollandais volant.
Animée du désir de libérer le marin de la malédiction qui pèse sur lui, la jeune femme lui jure une fidélité absolue dès leur première rencontre, et se prépare à accomplir son destin en l'épousant. Lors d'une rencontre ultime entre Senta et Erik, son fiancé désormais délaissé, le Hollandais croit entendre d'anciens serments de fidélité. Appréhendant une éventuelle trahison de la part de Senta, le Hollandais s'enfuit, la libérant de sa promesse. Senta se donne la mort en se lançant dans la mer, lui jurant une dernière fois fidélité éternelle – et la malédiction est levée.
Afin de célébrer le 200e anniversaire de Richard Wagner, l'Opéra de Montréal a décidé d'inclure une production du Vaisseau fantôme à sa saison musicale.
Dans une mise en scène originale de Christopher Alden, reprise pour Montréal par Marylin Gironsdal, les rôles principaux ont été confiés à des voix allemandes. Mais quelles voix! Les plus remarquables sont celles des trois personnages principaux : le père de Senta, Daland, chanté par la basse Reinhard Hagen; celle du Hollandais, chanté par Thomas Gazheli; et, surtout, celle qui interprète (ça se dit : une voix qui interprète?) le rôle de Senta, Maida Hundeling. Trois voix dans la plus pure tradition des voix wagnériennes – puissantes dans leur projection à travers le son orageux de l'orchestre dans les scènes tumultueuses, capables en même temps de piani souples et de couleurs variées, les trois solistes montrent une véritable maîtrise de leur art.
L'orchestre Métropolitain, sous la direction de Keri-Lynn Wilson, produit la sonorité chargée requise dans l'œuvre de Wagner. Dommage que lors de la représentation de 15 novembre 2012, le chœur – par ailleurs excellent – et l'orchestre se soient perdus un bon moment dans la scène de fête du troisième acte...
La mise en scène de Christopher Alden et les décors d’Allen Moyer sont remarquables. Derrière leur apparente simplicité se cache une approche valable et intéressante, qui, au lieu d'opposer à la musique déjà très évocatrice un aspect visuel et une dynamique tout aussi chargés, propose une vision iconographique épurée de la scène – permettant ainsi au public une immersion plus entière dans l'œuvre.
La conception d’une scène en pente de manière à évoquer l'inclinaison du pont d’un navire est ingénieuse. Non seulement suggère- t-elle l'instabilité d'un navire au moment de la tempête du premier acte; elle permet aussi de faire figurer dessous, dans les croisées, les marins fantomatiques du bateau hollandais maudit, dans la scène de fête par laquelle débute le troisième acte.
La mise en scène d'Alden suit un rythme lent et mesuré, quasi statique, dans les scènes où les solistes dominent auxquelles elle oppose des scènes de chœurs très animées – laissant ainsi dans les solis et les ensembles toute la place à la musique et aux paroles – et, du coup, à l'émotion qu'ils véhiculent. Tout ici est dans la voix, dans l'expression et dans le phrasé. D’où l'intérêt de confier les rôles à de grandes voix. Cette approche, qui les met à nu, est inopérante si les interprètes ne sont pas à la hauteur.
Quelques détails de la mise en scène restent pourtant obscurs : les chaises accrochées au mur, la fête vert fluo. Mais au final, la notion de Gesamtkunstwerk (œuvre d'art total) semble bien servie par la mise en scène – et cela jusqu'à la fin.
C'est à moment, cependant, que se gâte l'impression heureuse d'assister à une mise en scène volontairement au service de l'œuvre, de la musique et des intentions du compositeur.
Comment Alden a-t-il pu concevoir l'idée de changer la fin du drame?
Dans la version présentée à l’Opéra de Montréal, Senta ne se donne pas la mort afin de libérer le Hollandais de son sort : elle est tuée par son fiancé jaloux.
Or, s'il n'y a pas de sacrifice, il n'y a pas de rédemption. En vérité, dans la version du Vaisseau fantôme d'Alden, le Hollandais devrait retourner à son errance éternelle... ce qui rend absurde le concept philosophique à la base de l'œuvre.
Certes il est concevable qu'une relecture de l'œuvre par un metteur en scène en modifie la trame dramatique dans le but de mettre en relief un épisode particulier, de jeter un regard nouveau sur l’œuvre et d'inciter le public à faire une réflexion nouvelle à son sujet.
Mais dans ce cas, il ne peut s'agir d’une telle intention – la fin, le sacrifice de Senta, donnant tout son sens à cet opéra.
Je dois avouer que je suis restée perplexe devant un tel parti pris artistique.Venant d’un metteur en scène de peu de talent, il serait sans doute compréhensible, voire excusable, et à mettre sur le compte d’une incompréhension de l’œuvre ou d’une analyse lacunaire de celle-ci. S’agissant de Christopher Alden, ce ne saurait être le cas. Cette décision doit donc être consciente – ce qui ajoute à ma perplexité et soulève la question de la plus ou moins grande liberté possible dans l'interprétation. Un metteur en scène – et la question se pose pour tout interprète – peut-il ou devrait-il s'accorder le pouvoir de modifier une partie de l’œuvre au point d’en changer le sens profond que lui a donné son créateur? Ne s'agit-il pas là d'un pouvoir qui est contraire à l'idée même de l'interprétation?
C'est donc cette question qui m'habitait en sortant de la salle Wilfried Pelletier – ainsi qu'un sentiment d'ironie : qu’elle est belle l’initiative qui consiste à souligner l'anniversaire d'un compositeur en présentant l’une de ses œuvres, tout en trahissant sa prémisse philosophique...
Le Vaisseau Fantôme
opéra en trois actes de Richard Wagner d'après Aus den Memoiren des Herren von Schnabelewopski de Heinrich Heine
Distribution: Le Hollandais Thomas Gazheli
Erik Endrik Wottrich
Senta Maida Hundeling
Daland Reinhard Hagen
Le Timonier Kurt Lehmann
Mary Emilia Boteva
Mise en scène : Christopher Alden (reprise par Marylin Gronsdal)
Décors/Costumes : Allen Moyer
Éclairages Anne Militello
Chœur de l'opéra de Montréal et Orchestre Métropolitain
Direction : Keri-Lynn Wilson
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